Bouts du monde

On est arrivé trop tard. Une bonne vingtaine d’années certainement. On imaginait Ushuaïa en village animé des récits de navigateurs de retour de l’Antarctique, du Cap Horn ou de destinations plus tropicales, des histoires de voyageurs au plus ou moins long court, du quotidien des marins. Au début base d’une mission britannique venue étudier le mode de vie du peuple yagan, puis bagne construit par des prisonniers amenées en bateaux sur ces terres au climat hostile, Ushuaïa n’a plus rien d’un petit port. C’est une ville assez étendue, où les bâtiments historiques, en bois, jouxtent des blocs de bétons. Le centre est traversé par une rue piétonne, enfilade de magasins de souvenirs, d’équipements de montagne, d’agences et de restaurants modernes, qui cachent quelques antres plus chaleureuses. Deux soirs, on a dormi dans une auberge de jeunesse où presque personne ne se parlait. Les rues avaient l’air remplie de passagers de croisières de luxe plutôt que par des aventuriers.

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La première impression a été froide, comme le vent qui balaie quasi toujours la ville. Il a fallu qu’on pousse la porte d’un tout petit restaurant aux prix abordables, remplis d’Argentins, pour qu’on nuance notre jugement. C’était l’anniversaire du Ballus, qui pensant peut-être qu’on allait se faire inviter, en a informé la serveuse. Avec enthousiasme, elle a direct promis une chanson en fin de repas. Une chanteuse s’est pointée quelques minutes plus tard! Elle a terminé son concert par un « Feliz compleanos » repris par toute la salle. Mieux: la patronne a offert sa tournée de champagne. Il y a encore des lieux, comme celui-là, qui ont su garder un peu « d’authenticité », d’autres touristes l’ont confirmé.

 

Un peu déçus
Dans nos souvenirs, l’image d’Ushuaïa restera écornée, mais elle conserve les couleurs et la beauté des photos de cartes postales prises de l’autre côté de la baie. On y voit les voiliers flotter dans le canal de Beagle, dansant devant la ville, nichée au creux des montagnes. Le cadre est magnifique. D’Ushuaïa, de nombreuses balades sont possibles à la journée, ou plus. Jusqu’au glacier Martial, jusqu’à des lagunes, le long de la côte, etc. Nous, on a passé deux jours au parc Tierra del Fuego, à arpenter les différents sentiers, l’un menait à un point de vue sur la chaîne de montagnes entourant la baie, un autre à des criques, un autre à un barrage de castors. Importés du Canada pour exploiter leur fourrure, les castors, pas faits pour vivre dans cette région où ils n’ont pas de prédateurs, ont envahi toutes les forêts de la Terre de feu, jusqu’à l’Isla Navarino, de l’autre côté du canal, abattant des arbres d’essences rares.

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Deux villes pour le titre de ville la plus australe

L’Isla Navarino. On a décidé d’y aller. en voilier plutôt qu’en zodiac, ce sont pour l’instant les deux seuls moyens de rallier la « capitale », Puerto Williams. La faute à la rivalité entre Ushuaïa et Puerto Williams. Les deux villes se disputent le titre de ville la plus australe au monde. L’une est en Argentine, elle est connue. L’autre, effectivement la plus australe, est au Chili et, hormis les amateurs de trek, pas grand-monde n’en a déjà entendu parler. Côté chilien, le gouvernement est en train d’aménager un ponton pour amarrer un ferry qui ferait des allers-retours quotidiens vers Ushuaïa. Côté argentin, rien n’est évidemment fait pour faciliter la vie des touristes qui ont envie de traverser…
« Mi amor » et « Cexy », nouveaux surnoms
On a essayé le bateau-stop. Un couple voulait bien nous prendre, mais ils ne partaient pas avant plusieurs jours, le temps de préparer le voilier à la suite du voyage (lDSC_0009e Cap Horn). Les autres capitaines rencontrés avaient soit plus de place, soit pas envie de s’embarrasser, soit envie de se faire de l’argent. On est parti dans une petite bicoque, avec un gars, secouriste volontaire l’hiver (paraît qu’en Argentine, ils ne sont pas payés, à vérifier), qui se remplit les poches l’été grâce à ces traversées. Un roublard gentil. Un vrai argentin en somme. Avec lui, on a vécu l’attente du marin, dépendant de la météo. On avait rendez-vous à 10h. Trop de vent, on ne mettra pas les voiles avant 15H, nous annonce-t-il après deux heures à boire du thé et à discuter. A 15h, toujours pas bon. Un thé plus tard, on est quand même allé faire les papiers d’immigration, sachant qu’on arriverait trop tard pour débarquer en toute légalité au Chili. Du coup, on a mangé et dormi dans le bateau, à Puerto Williams.
Le lendemain, un habitant nous a conduit jusque chez Cécilia, la propriétaire de l’auberge El Padrino. Extraordinaire, cette femme. Tous les soirs, elle initiait un repas commun, ramenait elle aussi quelque chose et passait la soirée à papoter et rigoler avec ses hôtes. On a été renommé: « Mi amor » et « Cexy ». A vous de devinez qui est qui. On se serait cru à la maison avec la mama! Elle nous a même emmené au départ du circuit des Dientes, une rando de cinq jours. On s’est contenté de deux jours, jusqu’au paseo Primero.

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Dantesque déjà. Niveau paysage comme difficulté. Par endroit, on a dû escalader, prier pour ne pas glisser jusque tout en bas, on a parfois perdu le chemin, cherché dix minutes comment traverser une rivière, marché sur des plaques de neiges en train de fondre comme sur des oeufs… Et encore, on a eu de la chance, « un temps extraordinaire » de l’avis local, pas de vent, ni de pluie, ni de neige, juste du soleil. Donc de la gadoue. Le retour, par la forêt s’est transformé en parcours du combattant. Retrouver le chemin, marcher sur des troncs, sauter par dessus des marres, sortir son pied à temps du marécage, s’accrocher aux arbres. On a bien ri. Comme pendant tout le reste du séjour. La simplicité et la gentillesse des habitants de la Patagonie chilienne, plus la curiosité et la tranquillité des vacanciers rencontrés, y sont pour beaucoup. Ça fait partie des endroits où on aimerait retourner, cette fois en ferry depuis Punta Arenas, dans les fjords, au milieu des baleines et des glaciers. En espérant que d’ici là, Puerto Williams ne soit pas devenu Ushuaïa.

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